Le Club des Aéronautes Intemporels Réunis
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 Journal de Captain Jim (suite)

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Capt.Jim
J'ai laissé le Vent du Soir Décider
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   Posté le 19-09-2005 à 03:27:15   Voir le profil de Capt.Jim (Offline)   Répondre à ce message   http://www.myspace.com/jimrihet   Envoyer un message privé à Capt.Jim   

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J' avais accepté la vodka glacée à la Villa Castigno, après avoir redécollé de l' =AiR=Base et signé le registre des vols de la nuit.
Je marquais " Vol privé - Villa Castigno " et grimpais dans le Grumann encore chaud.

C' était la deuxième fois que j' y étais reçu, et je ne pû m' empêcher d' être à nouveau surpris par la beauté, le luxe de l' endroit.

La Villa est magnifique, et la tombée du soir colore le lieu de teintes propres à cette partie de l' île.
On y accoste par la rivière qui s' étend jusqu' aux debarcadères, où bien on se pose sur la rive droite qui mène au pied de la colline.
Derrière, les lumières sur Cook Lake témoignent de l' activité qui y règne, de jour comme de nuit.

Le perron est éclairé par les mêmes petites lumières qui délimitent les pontons, les promenades suspendues qui circulent au travers des bosquets aquatiques font le tour de la maison principale jusqu' à la backdoor typique à ce style de construction.

Ce genre de lieu me surprend toujours : un bout d' Asie dans le Pacifique... une note d' exotisme dans un Monde qui n' en a pas besoin... mais un morceau d' Asie, ça c' est sûr.

La conversation fut calme et appaisante, la sortie de la soirée avait été stressante et le caractère urgent de la situation, lié aux risques encourus, avait mis les pilotes à cran.
Ces épaves dont les eaux Kawaiënnes sont jonchées, commencaient à nous causer de sèrieux problèmes, et la vision de ce sous-marin déjà rongé de rouille, fantômatique et sombre, remontant du Bas du Monde, m' avait glacé le sang...

Les bombes étaient tombées, j' en entendis certaines même à 15 000 pieds. Les images se superposent vite, Là Haut... c' est si facile parfois de laisser ouvert le tiroir aux souvenirs, quand on a vécu ces visions similaires.
Ces corolles mortelles, ces fleurs envenimées qui se dressent en dessous et éclairent les eaux, et s' en vont salir la mer.
Mission failed, aucune des bombes n' ayant touché son objectif.
Pire : un appareil n' était pas rentré.


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Je revoyais tout ça dans le fond de mon verre, dans cette banquise liquide que j' avalais trop vite. Avant de sursauter :
Melle Castigno avait troqué sa combinaison de vol pour une tenue du soir, c' était la première fois que je la voyais en femme .
Je me suis excusé en me baissant pour ramasser les bouts de verre, des dizaines disséminés sur le tapis Afghan, qui avalait gôulument ma douce, ma délicieuse, si suave double-vodka.

Je suis un garçon timide, pas trop à mon aise dans ces situations-là, et je vivais depuis 6 mois entre un singe et un perroquet : ça vous change un homme...
Rapidement les débris disparurent, et je m' excusais encore pour ma gaucherie. Je me retrouvais avec un nouveau verre, calé dans un fauteuil dans la douce lumière du perron, face aux montagnes de cette côte est, sucrée, bleutée, mauresque ...

A la dérobée, je l' observais :
Elle avait parfois le regard perdu, loin, très loin vers un Ailleurs que je ne pouvais m' empêcher d' imaginer autrement que bouleversé ; un sentiment de tristesse et de mystère mêlés se dégageaient de cette femme, et c' était son aura même, qui irradiait ainsi.
Elle tenait son verre contre sa joue et son visage de profil scrutait un point invisible, vers le nord.
Le lamé laissait entrevoir le scintillement de la soie sur les jambes fines, je cramponnais mon verre.

- Votre Villa est magnifique, j' aime beaucoup cette partie de l' île.
articulais-je sans bredouiller.

Je repensais au même moment, que 2 mois plus tôt, à quelques kilomètres d' ici, je m' offrais le plus bel-attéro-sans-les-trains de toute ma carrière, bousillant l' helice de mon Dauntless dans une glissade honteuse et navrante ...

Mais c' est la vérité : c' est peut-être la plus belle partie de l' île.
Au sommet des montagnes qui surplombent les bras de mer, s' étendent les jungles du parc national protégé.
La rivière aux Esprits serpente loin dans les terres, là où les collines bordées de forêts enlacent le paysage qui descend vers l' océan. Les plages sont longues, lisses, blanches et lumineuses. La nuit elles semblent fluorescentes, presque magiques.

J' ai accepté un autre verre, je commençais à me sentir plus calme et détendu.
Je copiais ses longs silences qui me convenais à merveille, j' étais devenu il est vrai un peu taciturne et solitaire.

6 mois...
cela faisait 6 mois que nous étions arrivés.
Même Grande Traversée, même Emotion .
Comme une sorte de Fraternité , j' en sais rien, je connais pas bien les mots, mais comme si on avait partagé quelque chose de fort, chacun dans nos têtes, mais ENSEMBLE aussi. Surtout.

C' est drôle, il y en avait un troisième, de ces Frères de Voyage. Disparu pendant des mois, et réapparu il y a quelques jours... Soudainement recraché par une jungle, une crique, un de ces coins de l' île qui en happent certains, en envôutent d' autres, au point qu' ils s' y perdent, ennivrés de Paradis.
J' avais construit le mien, de Paradis, au bout d' une crique abritée.
La barraque était sur pilotis, et un hangar de 1941 trônait encore fièrement à l' extrémité du ponton.
On crevait de chaud sous les tôles du bazar, et les montants des installations, ancrés dans le lagon, étaient pourris et rongés par le temps et le manque d' entretien.
Mais je me disais que je pourrais bientôt me payer un hydravion après ma licence, et que j' avais la place pour amerrir tranquille...
Je dû me rendre à l' évidence : les berges trop minces et bosselées mettaient à mal le train de mon Dauntless, je dû quitter l' endroit..

Elle fixait maintenant les lueurs qu' on distinguait au dessus de Cook Lake, parfois le vent du soir amenait le bruit des engins qui y travaillaient. Je poursuivais aussi ma rêverie...

J' avais tout laissé au bout de la crique, sauf Ococ, le perroquet.
Il s' était pointé un matin, piquant la porte du hangar avec son long bec recourbé.
Son oeil vif et curieux semblait être rieur et je me souviens avoir pensé au mot "clown" quand je l' apperçu. Son plumage coloré, sans doute.
Un fabuleux " OÔÔoÔKKOK !!" retentit contre la tôle de la barraque, quand l' animal ébourriffé rentra de lui même chez moi, de sa démarche boitillante.
Il ne me quitte plus depuis.
Comme Pépée.
Mon singe.

Elle, c' est une autre histoire... je l' ai récupérée en mauvais état.
Les braconniers.
Les enculés déboulent de nuit dans les jungles, et tendent des pièges qu' ils relèvent au lever du jour.
Ils font des carnages sur des secteurs entiers, difficiles à repérer tant la jungle est dense.
Les cibles sont faciles et sans défense, car habituées à l' homme, du moins chaque espèce vivant en paix avec les autres, humaine comprise.
Pépée tremblait de froid, de peur, de chagrin.
C' était une boule de poil, mais j' y ai vu des mains d' enfant, des pieds d' enfant, un vrai regard de gosse. De gosse térrorisé.
J' ai eu toutes les peines du monde à l' arracher à sa mère qui gisait, sans tête, sur le sol boueux de sang. Ses hurlements hantent encore mes jours, quand l' orage arrive et noie le paysage dans des brumes sinistres.
Quelques semaines plus tard, et des litres de lait et de patience mélangés, Pépée était sauvée et s' accrochait à moi comme une troisième rangers, sautait sur tout et n' importe quoi, de préférence au sommet de ma moustiquaire, pour atteindre le haut de la cabane et s' élancait ainsi dans une danse acrobatique, une Danse de Vie.
C' est aussi à cette pèriode que je me suis repointé un jour sur l' =AiR= Base, quelques heures après m' y être posé. Je venais de descendre 2 appareils qui nous avaient engagés lors d' un vol de routine.
Le contrôle était dans tout ses états, aucun appareil de la Sécurité Kawaïenne n' étant disponible sur le secteur.
Puis on a reçu un message disant que ces zincs avaient déjà été signalés quelques semaines plus tôt, lors d' un affrontement avec des contrebandiers.

Je termine la vodka assis dans ce fauteil, à quelques mètres d' une femme qui se repasse aussi un film, et déroule sûrement, je le sens ,la pellicule de son enfer personnel...

J'avais piqué sur les deux arrados sans marquage, j' ai eu le temps de voir la tête du mitrailleur qui m' envoyait ses bouts de mort en de longues gerbes désordonnées, j' ai eu le temps donc de voir cette gueule de pourri hurler dans sa bulle avant que mes balles ne pulvérisent le verre...
Le deuxième fut abattu comme dans un rêve, et la violence de mon premier assaut marque davantage mes souvenirs. j' ai juste l' image d' un avion fuyant et de ma première traçante qui guida mon tir jusque dans les fumées noires d' huiles et d' essence en feu.


-- 10 --




C' est ce jour là donc, que quelques heures plus tard, je déboulais à l' =AiR= base, ivre mort.
J' avisais un hangar où on entreposait le matériel de marquage et d' immatriculation, et armé de pochoirs et de peinture , je mis le cap sur mon SBd3.
J' ai eu un mal de chien à grimper sur ses ailes, et je m' apprêtais à commencer mon oeuvre, m' empêtrant déjà dans les couleurs et les morceaux de carton, quand la voix derrière moi me fit sursauter ...

- ben non, Captain Jim, faut pas faire comme ça ... 'pis tu vas te casser la gueule, en plus.

West était souvent là, quand j' avais besoin d' aide, où dans les coups de hasard, il déboulait comme surgit de n' importe où, toujours au bon moment.
Et c' est lui à qui je demandais de peindre mes victoires, sur la carlingue du SBd, qui en avait vu d' autres ...

- Ouais WEST !!! Ooouaais !!!! je beuglais sur le béton en regardant mon pote un peu sceptique quand même.

- OUAIS ! VAS Y ! S'TE PLAIT ! FAIT CA POUR TON JIM !!! FAUT LEUR MONTRER A SES ENCULES QU ON SAIT SE DEFENDRE MERDE !!!! MEEEERDE !!!! je beuglais je vous dis ...

Bref, depuis ce jour là, j' arbore 7 victoires sur mes carlingues.
C' est pas de la Fierté , entendons nous bien. C' est juste ma manière de cracher ma trouille. Et ma violence à défendre Kawaï.

***


La fraîcheur était tombée et quelques rares étoiles brillaient au travers du passage de lourds nuages noirs, chargés de pluie.
Les petites lumières tremblaient le long des traverses, et le clapotis des vagues se faisait plus régulier et sonore.

Le crissement du squelch de l' appareil radio déchira cet instant, les pellicules de nos films ne laissant qu' un fouilli de poussières sur un écran vide, la Vraie Vie s' imposait au travers des lampes de l' emetteur recepteur, posé sur une petite table du salon.

Elle se levait déjà pour chausser le casque en réglant la fréquence pour affiner la liaison radio.

- Il est ici, effectivement. Très bien, je l' averti immédiatement. Merci.over

Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvé dans mon zinc, manoeuvrant tant bien que mal pour me positionner au décollage de la Villa Castigno.
Je revois les lumières qui défilaient sous mes ailes, brouillées dans mes larmes. J' ai jamais autant pleuré de ma vie, je crois bien. Jamais autant qu' à ce moment là.
C' était l' =AiR= Base qui avait appelé sur la fréquence que les pilotes utilisent lorsqu' ils sont Ready to Up, le message était pour moi.
Un vieillard attendait sur le parking de la Base dont je distinguais déjà les balises, il disait qu' il venait voir Jim, et avait été interpellé alors qu' il s' installait à l' arrière du K - 1 =AiR=, en braillant " Le 22 !! c' est Le 22 de Jim " ...


Le Vieux était vivant.

Et il m' attendait.

Putain, comme un Père, merde.


Kawaï Island,
Lihue road,
19 septembre 1950



( à suivre )

Message édité le 19-09-2005 à 03:39:57 par Capt.Jim


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Un Jour, je suis parti....
West
membre
West
1368 messages postés
   Posté le 19-09-2005 à 18:43:20   Voir le profil de West (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à West   

il et fou


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L étoile te guide et le vent emméne sur la piste ,



West
membre
West
1368 messages postés
   Posté le 19-09-2005 à 20:28:43   Voir le profil de West (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à West   

ce super mon pote ce une belle histoire


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L étoile te guide et le vent emméne sur la piste ,



Zebulon
ex
Administrateur
Zebulon
1716 messages postés
   Posté le 19-09-2005 à 20:57:30   Voir le profil de Zebulon (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Zebulon   

je savais pas quoi faire , là , c'est cool....ca m'a ocupé 20 minutes... lol

non, sérieusement, chapeau ! c'est un metier !!!!! c'est notre Jim !!!
bloodice
FATALEMENT
nouveau membre
bloodice
3799 messages postés
   Posté le 19-09-2005 à 21:21:46   Voir le profil de bloodice (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à bloodice   

total respect ,vraiment impressionant, chapeau bas !!!!!!!


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KAWAI !!!!! J'aime ces pilotes !!!!!

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